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La Végétarienne : le roman apologue de Han Kang

Jean de Chambure

On connaît assez bien la métamorphose masculine dans la littérature moderne (oh Kafka !). 


Grâce à son court roman La métamorphose (1915) il nous vient à l’esprit celle de son héros Gregor Samsa, jeune représentant de commerce transformé un matin en « monstrueux insecte ». Le voici soudain déclassé, poursuivi par son employeur qui s’enquiert de son retard, puis chassé de sa chambre par son père qui le prend en haine. Sa sœur tente ensuite de lui venir en aide, mais en vain. Il fait fuir les locataires d’une partie du logis familial où il réside toujours, ce qui le conduira à sa perte. Une chute en trois parties.


La métamorphose des femmes, parce qu’elle dérange peut-être encore davantage, nous est en revanche moins connue. Pour remonter le temps, dans L’Ancien Testament, on pense à la femme de Loth, ce juste de Sodome et Gomorrhe obtient le droit de quitter sa ville prochainement détruite avec sa famille, à condition qu’aucun membre ne se retourne pour voir le désastre. Loth succombe à cette envie, elle est transformée en statue de sel. C’est la punition de Yahvé contre celle qui a préféré la douleur du passé à l’avenir : elle s’est statufiée. Cette fin peut aussi être comprise comme une condamnation de la conscience féminine : regarder les plaies du passé ou celles d’une société, ce n’est pas à faire, encore moins pour une femme. Voilà de quoi, sans doute, inspirer une romancière comme Han Kang. Son héroïne veut oublier toute viande, se rêver végétale. Au nom de quel droit ? 


Comme dans le roman fantastique de Kafka, mais cette fois dans une veine réaliste, Han Kang orchestre en trois mouvement la chute irrémédiable de son héroïne Yŏnghye. 


Pour le jeune Gregor, sa famille et la société ne pouvaient tolérer sa soudaine inutilité. Ce n’était pas tant sa métamorphose animale qui importait à ses proches que son incapacité à tenir son rôle d’employé. 


Pour Yŏnghye, ce n’est pas tellement son évolution alimentaire qui importune sa famille que son inaptitude à tenir son rôle d’épouse et de fille omnivore. Les repas ne seront plus les mêmes, cela devient inadmissible.    


Han Kang. La végétarienne. Editions Le livre de poche
Han Kang. La végétarienne. Editions Le livre de poche

À Yŏnghye, héroïne de cet étrange roman-fable écrit par Han Kang (La végétarienne), rien ne sera ainsi épargné. La première peine est procurée par son père qui, comme son mari et sa famille, ne supporte pas son végétarisme et lui fait avaler de force de la viande avant qu'elle ne se plante un couteau sur le poignet pour échapper au supplice. La seconde, plus perverse et lente, est donnée par son beau-frère qui la fantasme et l'exploite sexuellement comme une femme végétale lorsqu’elle est à l’hôpital. La dernière enfin, plus ambigüe, est celle de sa sœur aînée qui tente désespérément de la ramener à la vie à l'hôpital tandis qu’elle se laisse mourir. Aucune lumière dans ce court roman si ce n'est une forme « d'espoir désespéré » qui vient de l’écriture de Han Kang, grâce à laquelle on s'accroche à son récit comme à une héroïne que l’on devine d’emblée condamnée.


C’est un peu brutal, mais cela vaut la peine si vous êtes en forme.



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A lire aussi :

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Truismes (1996) de Marie Darrieussecq 






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La Revue littéraire de Shanghai et d'Orient : ISSN 3074-9832   

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