Et la lecture demeure… par Jean de Chambure - “Et Shanghai demeure” de Marie-Astrid Prache aux éditions Paulsen, collection Démarches.
A côté du luxe, souvent peu onéreux, qui consiste à prendre du temps pour lire de bons livres, il en existe un autre qui est de faire part d’une lecture que l’on a aimée quelque temps après la sortie d’un livre. Lire quelques mois ou quelques années après un ouvrage sorti, c’est un plaisir un peu rebelle de lecteur décalé qui garde un certain goût du temps qui passe propice à la littérature « qui reste ». Ainsi, j’ai lu l’hiver dernier, Et Shanghai demeure de Marie-Astrid Prache, publié dans la belle collection Démarches des éditions Paulsen.
Larissa Andersen, l’héroïne recherchée par la narratrice, traverse Shanghai avec la grâce fragile et libre d’une danseuse en exil. Ce sont les années 20, 30, mais aussi les décennies 40 et 50 qui, à ma connaissance, sont beaucoup plus rarement décrites dans la littérature. Aimée comme une tragédienne, la ville révèle ses multiples visages de sa magnificence jusqu’à la Seconde Guerre mondiale et son extinction sous Mao. Il lui fallait bien mettre au pas, la ville qu’il dût quitter avec ses camarades ! Mais Larissa ne s’y résoudra que très tard (1956), ce qui en fait un personnage des ténèbres de l’après-guerre particulièrement attachant.

Comme la narratrice qui s’interroge sur son propre sort dans le Shanghai de nos années 2000, Larissa Andersen est une waidiren (外地人), une « personne du dehors » qui n’a pas ni passeport, ni droit particulier semblable à ces nombreux « balayeurs, chiffonniers, réparateurs, aiguiseurs de couteaux, ouvriers, livreurs, chauffeurs de taxi, masseuses, bonne à tout faire », ce « peuple de l’ombre » à qui Shanghai doit beaucoup, comme d’autres grandes villes que nous connaissons.
Cette étrangeté géographique est aussi une étrangeté intérieure qui, au fil du récit, nous révèle une héroïne tour à tour libre et philosophe ou délibérément soumise à des amours domestiques qui lui conviennent à moitié. Au fil de sa vie, on ne sait jamais si Larissa Andersen va être du côté de Virginie Woolf ou d’Emma Bovary. Sans doute est-ce le destin d’une muse libre venue de Russie. Avec une proximité talentueuse, l’auteure tutoie son personnage en se dévoilant un peu, bien que j’eusse voulu en tant que lecteur en connaître parfois un peu plus sur sa vie. Mais cette retenue élégante fait aussi partie du charme du livre. C’est Larissa Andersen qui ressuscite !
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