“En attendant la neige” de Lhasham-Gyal
Lorsque la fraîcheur de l'enfance s'en est allée … En est-on réduit à attendre inexorablement que la neige tombe ?
Premier roman de Lhasham-Gyal, écrit en 2012, et traduit par Françoise Robin, ce livre est composé de deux grandes parties.
Les premiers chapitres, d'une fraîcheur délicieuse, relatent l'enfance de quatre amis, trois garçons et une fille. Ils grandissent à Marnang, un village de l'Amdo (aujourd'hui province du Qinghai) et connaîtront des destins très différents.
La deuxième partie s'attache à raconter les tours et détours de leurs vies d'adultes. Certains ont quitté ce territoire aimé, d'autres y sont restés, un temps ou une vie...
Les deux parties du livre, d'un style très différent, se font sans cesse écho.

Ce petit village où les blocs de neige en tombant du toit font « Dik », où les pies émettent des « Chak », où les grains versés dans des sacs font « Shag », et où les pas sur la neige fraîchement tombée font « Trik » est toujours avec nous lorsque l'auteur, devenu adulte, travaille dans une grande ville « de l'intérieur » où la brume opaque dégage une impression de grande froideur, où une rigidité froide se dégage du béton et de l'acier des immeubles.
Le ton est donné ! A la langue enfantine imagée, poétique, des premiers chapitres, parsemée de charmantes onomatopées, répond un langage plus uniforme, plus édulcoré, celui d'un adulte, désabusé, attendant un coup de fil en ville et surtout... que la neige tombe. Cette neige, qui le ramène dans la vallée de Marnang et à ses amis d'enfance.
Aux amusantes disputes et bagarres de ces quatre bambins, répondent les mésententes conjugales de deux adultes dont le sens donné à leur vie respective est incompatible.
A la découverte des mystères de l'amour, répondent les tracasseries d'une vie de couple en ville.
A la logique implacable d'un regard d'enfant qui trouve réponse à tout, puisque tes larmes coulent toutes seules, il n'y a pas d'explication, la perte du sens d'une vie d'adulte loin de sa terre natale oppose un questionnement incessant.
A l'enthousiasme de villageois des hauts plateaux face à l'arrivée de la modernité, vélo, radio, électricité, s'oppose le regard vide de consonnes et voyelles tibétaines, immobiles et muettes sur un écran d'ordinateur.
Mais en dehors de ce va et vient que la lecture du roman induit entre l'enfance et l'âge adulte, mis en évidence par ces deux styles d'écriture différents et la belle traduction de Françoise Robin, de grandes questions sont posées.
Des questions universelles, bien au-delà des questions que représente en Chine l'appartenance à une ethnie minoritaire. Que choisir ? Ecole et instruction, odeur de l'encre et du papier ? Ou rites et religion odeur des fumées de fumigation du monastère ? Peut-on choisir un mari pour sa fille sans la consulter ? Peut-on pousser un enfant à une vie monastique, ou en déraciner un autre pour des études dans une ville inconnue très éloignée ? Avoir une terre natale est-elle une notion essentielle pour l'accomplissement d'un chemin de vie ?
Face à ces questions auxquelles sont renvoyés les divers personnages de ce roman attachant, la reprise en main de leur destin semble être la réponse, un destin glorieux, prétentieux, ou teinté d'humilité et de souffrance, en tout cas très éloigné de celui auquel ces mignons bambins semblaient promis.
Ne surtout pas faire l'impasse sur l'avant-propos de l'auteur. Il y relate sa découverte de nos grands auteurs français, traduits en langue tibétaine ou chinoise, des œuvres qui ont joué un grand rôle dans son goût initial pour la littérature. Mais surtout, on se prend aussitôt d'une grande sympathie pour Lhasham-Gyal, angoissé à l'idée d'être traduit en français mais très honoré que ses textes s'affranchissent des barrières de la langue et soient capables d'inspirer les lecteurs, comme l'ont inspiré les œuvres françaises lues autrefois.
Pour finir, une remarque : la lecture de ce beau roman peut sembler un peu entrecoupée par la référence au répertoire de fin de livre, mais ces allers et retours entre texte et notes explicatives de termes non traduisibles est essentielle pour rentrer plus profondément dans la culture tibétaine.
L'auteur
Lhasham-Gyal est né en Amdo (Province du Qinghai) en 1978. A 18 ans, au cours de vacances au pays lors de ses études universitaires, allongé sur l'herbe des hauts plateaux, il découvre la littérature française, Maupassant, Hugo, Flaubert et à travers eux l'infinie diversité des êtres et des mondes.
Devenu écrivain, il compose de nombreux essais et récits sur le territoire, le Tibet historique (non limité à la Région autonome du Tibet) où il a passé son enfance, et sur les gens qui la peuplent.
Il est vice-directeur de l'Institut de recherche sur les religions au Centre de recherche sur les études tibétaines de Pékin.
La traductrice
Françoise Robin, diplômée de l'INALCO en 1999, a soutenu en 2003 une thèse de doctorat sur la littérature tibétaine. Elle enseigne aujourd'hui à l'INALCO où depuis 2012, elle est responsable de la section Tibet. Elle est également présidente depuis 2022 de la Société Française d'Etudes du Monde Tibétain.
En attendant la neige, de Lhasham-Gyal - Editions Picquier
Traduit par Françoise Robin
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